Guyhem Brizard : le retour à la terre

Guyhem Brizard ne produit qu'un type de farine, T80 bis, utilisé dans toutes ses préparations.

Installé à Curbans, dans les Hautes-Alpes, avec son associé Gérard Perrin, Guyhem Brizard fabrique des pains au levain bio avec la farine de ses propres céréales.

Fils d’agriculteurs, Guyhem Brizard a préféré prendre le large plutôt que suivre la voie tracée par ses parents. Tombé dans la boulange presque par hasard, il est revenu à la terre sous le tablier de paysan-­boulanger. Producteur bio par conviction, il prend à cœur la santé de la terre, et des humains.

La Toque magazine : D’où vous vient votre double vocation de paysan-boulanger ?

Guyhem Brizard : Je suis fils de paysans bretons. J’aurais dû reprendre la ferme familiale après mes études agricoles mais j’ai préféré partir voir autre chose. J’ai été marin pendant quinze ans, puis le jeu des rencontres m’a fait atterrir dans une ferme collective en Isère ; où j’ai passé quelques mois à traire des vaches, à conduire un tracteur et à faire du pain. J’ai alors eu envie de retourner à la terre à travers le métier de paysan-boulanger car l’idée de transformer ma production me plaisait. Je n’étais pas particulièrement intéressé par la boulangerie mais je me suis surpris à aimer ça : c’est génial de faire son levain et de mettre les mains dans la pâte !

Selon Guyhem Brizard, les moulins de type Astrié permettent la meilleure mouture sur le plan nutritionnel. (© B. LAFEUILLE)

LTM : Comment se sont passés vos débuts ?

GB : Pour transformer ma propre production, je n’avais pas besoin de CAP : j’ai appris à faire du pain pendant mes séjours à la ferme. Puis cela a été un parcours du combattant pour dénicher du foncier et un local, jusqu’à ce que je trouve ce lieu à Curbans [Alpes-de-Haute-Provence], où la mairie a été facilitante. J’ai touché les aides de la politique agricole commune pour les jeunes agriculteurs, très utiles étant donné les investissements nécessaires : cent vingt mille euros de gros matériel — moulin, tracteurs… — et trente mille euros de frais divers. J’ai démarré en 2008 après avoir récupéré des semences de blé chez d’autres paysans-­boulangers. Je ne fabriquais qu’un type de pain, mais en trois mois j’avais fidélisé ma clientèle ! Ici, les habitudes de consommation ne sont pas celles d’une grande ville : un pain de garde est très apprécié.

LTM : Toutes vos terres sont dédiées à votre activité boulangère : comment les travaillez-vous ?

GB : Avec mon associé Gérard Perrin, nous sommes en Agriculture Biologique. C’était une évidence pour moi, même si mes parents utilisaient de la chimie et qu’on ne m’avait pas enseigné la bio. Cette rupture avec ce que j’avais appris était un défi ! Mais j’étais sûr que le modèle conventionnel allait dans le mur… Sur nos trente hectares, dix à douze sont cultivés en céréales chaque année. Le reste est en prairie : cela permet de faire des rotations afin de nourrir la terre sans engrais et de limiter la propagation des maladies et des mauvaises herbes. Mais nous ne maîtrisons pas tout, surtout avec le changement climatique, alors nous n’arrêtons jamais d’expérimenter…

Pas de process standardisé : « Je m'adapte en permenance à ma farine », explique Guyhem Brizard. (© B. LAFEUILLE)

LTM : Quelles espèces et variétés de céréales cultivez-vous ?

GB : Du blé et un peu de seigle. Nous allons peut-être faire de l’épeautre, qui me semble adapté à nos terres et que les clients demandent. J’ai testé plusieurs variétés de blé, qui n’ont pas toutes donné de bons résultats, en termes soit de productivité, soit de panification. Aujourd’hui, je cultive plusieurs variétés anciennes : rouge de Bordeaux, florence aurore, saissette de Provence… Les variétés modernes ne sont probablement pas mauvaises pour la santé si elles sont panifiées correctement, mais elles ne donnent pas les mêmes arômes. Et, surtout, elles sont conçues pour être cultivées dans des systèmes utilisateurs d’engrais et de pesticide­s. Je n’ai pas opté pour des mélanges de blés de population car c’est compliqué à travailler : d’une année sur l’autre, selon les conditions météorologiques, certaines variétés prennent le dessus et d’autres peuvent disparaître. Je cultive donc chaque variété pure. Je les mélange après récolte avec 5 à 10 % de seigle pour obtenir la farine que j’utilise aussi bien pour mon levain que pour tous mes pains.

LTM : Quelles sont les spécificités de la boulange paysanne ?

GB : La farine est ultra-fraîche car nous écrasons au fur et à mesure de nos besoins sur un moulin de type Astrié. Cette mouture est idéale sur le plan nutritionnel : la farine est débarrassée du son grossier mais conserve de nombreux nutriments. Je réincorpore même un peu de semoule fine pour obtenir une sorte de farine T80 +, plus nutritive. Ensuite, ici il n’y a pas de process standardisé : je modifie ma méthode de panification en fonction de ma farine, qui dépend de l’historique de la parcelle. Je joue sur les différents paramètres : les quantités de farine et d’eau, la durée de fermentation, la température du pétrin… Dans tous les cas, les variétés anciennes ont un gluten fragile donc il faut les pétrir le moins possible et le plus lentement possible pour ne pas casser les réseaux de gluten. Après une fermentation longue, les pains sont cuits dans un four à bois autoconstruit, à chaleur tombante.

Le travail aux champs, saisonnier, représente un quart du temps de travail sur l'année. (© B. LAFEUILLE)

LTM : Comment s’organise le travail entre les champs, la boulange et la vente ?

GB : Je me sens autant paysan que boulanger, même si je passe les trois quarts de mon temps à faire du pain. Les travaux des champs sont assez saisonniers. Pour la boulange, nous avons trois jours de fabrication : lundi, mercredi et vendredi. Mon associé Gérard Perrin fait un peu de tout et gère la vente et les livraisons. Et maintenant, nous aimerions trouver des associés pour créer un collectif avec des activités complémentaires — fruits ou maraîchage, par exemple — et commencer à transmettre notre outil.

A découvrir également

Voir la version complète
Gérer mon consentement